C’était la pire idée du siècle.

Nuits câlines aux rayons torsadés d’orange. Et les enfants du soir, blousons de cuir et mégots rougeoyants, cheveux gominés et sous les yeux le maquillage en palette d’hématomes.

C’était comme le sang dans les veines.

Froid aux dents comme des lames de rasoir, brisées sur le tranchant des rires des enfants du soir. Les sales gosses, les graines de voyou, les maudits salauds, et sur le toit du monde les comètes pour veiller.

C’était la meilleure nuit pour les démons de sortie.

Les sorcières, les croquemitaines, les fantômes et les goules, et même Baba Yaga aux rires fêlées , Baba Yaga échouée. Odeur d’herbe et de sueur dans les déboires du matin.

C’était l’aube des cauchemars.

Les lueurs de l’enfance qui s’écrase si fort contre les roches qu’elle éclate en morceaux de verre et se plante férocement dans les cœurs environnants.

C’était le début des emmerdes.

Les météorites en poings fermés, le sifflement de la colère-serpent entre les dents. Et Baba Yaga dans tout ça, fasciné, araignée un peu tordue qui se délecte des égarés.

C’était le brusque retour à la réalité.

Le cuir en simili, les mégots qu’on rallume encore et encore pour une bouffée de nicotine, les mèches qui se rebellent. Mais les bleus bien réels.

C’était les souvenirs d’une génération.

Les gamins des rues un peu perdus, la rage au ventre et personne pour se porter responsable. Les tout nouveaux dix-huit ans pas encore vraiment grands.

C’était la pire idée du siècle.

Et c’est exactement ce qui la rendait aussi belle. L’odeur d’une liberté durement gagnée, l’abandon de l’innocence, et chaque scintillement de douleur comme un rappel de l’existence.

C’était l’empire des enfants Peter Pan.