t'es née dans un pays bien plus que chaud que ça, où les langues dansent autant les pieds. le sang boue dans les corps parfumés d'encens et recouverts de perles. du moins dans tes yeux de gamine. range moi ce sourire niais, nena, la vie c'est pas les conneries qu'on te raconte pour que t'angoisse pas. au mieux tu finiras mariée de force au paysan qu'a le plus de vaches, au pire tu restera vieille fille, à moins que ça soit l'inverse ?

ah t'as eu de la chance hija, ton père a claqué avant l'heure. bah ouais, tu peux oublier le mariage au pecno voisin, ta mère elle s'en cogne de votre pâturage. alors tu prends tes clics et tes clacs et surtout, tu l'ouvres pas. puis tu suis ta mère, elle va te lancer le démon si tu moufles. c'est ce qu'elle fait elle, on la connait pour ça partout ou elle passe. elle confectionne des bouts d'âmes dans des tissus cheap et elle les vend avec un peu d'encens et boum, exorcisme sur demande. votre appart dans l'immeuble uranus, ça change de ta bicoque au bord de son champs nan ? allez, tu vas t'y faire, t'façon la madre elle a ramené sa collection d’icônes qui te font secrètement flipper, les cierges brûlent et diffusent une ambiance vaporeuse dans l'appartement. partout jésus, partout Lui, partout le Sauveur. le seul homme de ta vie d'après ta mère.

hombre qu'il fait froid dans ce pays. tu piges pas grand chose à la langue. du coup tu bosses pas, tu fais rien, tu vas pas étudier, non c'est pas pour les gens comme vous ça. ah lire, tu sais faire, mais ça t'enmerde, tu préfère te balader, fumer lentement, et écouter cette langue mystérieuse que tu tentes d'apprivoiser. Dios mio, que le pays te manque. On te regarde bizarrement ici, tu portes trop de couleurs pour faire partie du cadre. t'es comme une tâche.

on te zieute de loin, mais tu susurres des incantations étranges qui font flipper les moins courageux. tu sais même pas ce que ça veut dire, mais c'est que ta mère bafouille lorsque la vieille du douzième vient pour son arthrite. tu sens des ombres dans ton dos, comme des démons qui te tourmentent, tu te sens jamais seule.   

(...)